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LES TEMPLES 

Dans tous les cas, en Gaule celtique, nous sommes très loin encore du temple hellénistique. Les civilisations mycéniennes et minoennes de l’Âge du bronze inaugurent cette ère dominée culturellement par la péninsule grecque et les îles de la Mer Égée. On peut encore envisager ces civilisations comme des développements de la société mégalithique. 

Les civilisations mycéniennes et minoennes ne connaissaient pas encore de temple — sans doute les cultes se déroulaient-ils au sein d’un sanctuaire naturel, comme en Gaule, et comme ce sera encore souvent toujours le cas encore en Grèce classique, malgré la présence de temples. Biens des cultes hellénistiques n’abandonneront pas le sanctuaire de plein air : le téménos délimité par les bornes ou les murs d’un périmètre sacré (le péribole). 

Cependant, vers le neuvième siècle, l’Europe se transforme technologiquement et entre dans l’Âge du fer. Les agriculteurs travaillent la terre avec un soc de fer, tandis que les puissants emportent une épée toujours de fer dans leur tumulus. Les cités fleurissent jusque dans le monde celtique, tandis qu’en Grèce, au cours du huitième siècle, puis en Italie étrusque au siècle suivant, éclosent des sociétés européennes urbaines dynamiques, riches, raffinées et technologiquement avancées, comparables à celles de l’Orient. On y retrouve donc de nombreux emprunts au modèle offerts par les cités du Croissant fertile. Les cités de la Grèce classique, imitées ensuite par les italiennes, vont emprunter à l’Orient des sanctuaires bâtis en pierre autour d’une statue de la divinité.

du temenos au naos

Les espaces sacrés vont donc désormais suivre les développements techniques et esthétiques de l’architecture, tandis que les représentations picturales anthropomorphiques sculptées en haut relief deviennent le point focal du culte. 

Les bois sacrés (alsos), tel l’Altis d’Olympie, ou celui de Poséidon à Onchestos de Béotie, ne disparaîtront pas du monde hellénistique. Ils deviennent des jardins sacrés ornés de colonnes isolées et de statues. La Grèce est ainsi couverte d’arbres, de sources, de lacs, de gouffres et probablement surtout de grottes (en raison de son relief karstique) qui ont été élus comme autant de sanctuaires naturels par quelque culte et par des mythes instituant les cultes en question. 

©KufoletoAntonio_De_Lorenzo_and_Marina_V

Delphi_tholos_cazzul

©Kufoleto Antonio De Lorenzo + Marina_Ventayol : CC_BY_3.0,

Nous sommes déjà loin cependant des pays germaniques et celtiques. Ces sanctuaires, tel l’Antre corycien de Delphes dédié aux Nymphes coryciennes et à Pan, étaient certes eux aussi délimités par des bornes ou une enceinte marquant la propriété divine sur le lieu. Mais, ils pouvaient accueillir un petit temple (du type tholos) muni d’un autel et d’une représentation de la ou des divinités vénérées, voire un grand nombre de bâtiments annexes rendus nécessaires par la présence des desservants et la venue de pèlerins.

Surtout, le péribole peut désormais délimiter la demeure qui dissimule la statue d’une divinité aux apparences rigoureusement humaines (et non plus parfois animales). Dans ce cas, le sanctuaire n’est plus une futaie ou une grotte, mais est constitué d’un bâtiment en pierre accueillant la statue divine, parfois très imposants, et qui supposent un immense savoir-faire : le naos. C’est-à-dire la chambre de la divinité, laquelle chambre, par antonomase, va désigner l’ensemble du temple. 

Le peuple est convié à participer aux cérémonies sacrificielles (lesquelles se déclinent de manière parfois très diverse) offertes en l’honneur de la divinité sur le parvis, par l’intermédiaire du collège sacerdotal (selon les cas, tantôt masculin, tantôt féminin, voire mixte) attaché à ce culte.

Le peuple peut éventuellement aussi être convié à adorer la statue divine lors d’une procession à l’intérieur du sanctuaire autour de la chambre cachant l’image de la déesse ou du dieu. La puissance de la cité qui l’édifia s’affirme à travers le caractère grandiose du monument, tout comme à travers celui des autres bâtiments publics. Au point qu’un édifice comme le Parthénon n’avait quasiment pas de fonction cultuelle, mais seulement de prestige politique.

De même que les princes humains s’octroient de belles demeures, ainsi que des tombeaux monumentaux pour défier le temps et la mort en abritant leur dépouille, on va offrir aux statues des divinités des demeures symboliques ici-bas, afin que leur représentation puisse-t-être honorée. De même que le mausolée du prince préserve quelque chose de sa force après sa mort, le temple abrite quelque chose de la force du dieu. On peut supposer que, dans le contexte de la forte urbanisation du monde antique, la demeure de la divinité est une forme d’extrapolation de la demeure funéraire d’un ancêtre important à qui l’on rendait un culte. 

temples grecs et romains

Les temples grecs (puis romains) suivent en général un plan axial rectangulaire. Toutefois, quelques temples plus modestes, de structure circulaire, suivent un plan central. Ils sont dénommés tholos tout comme les tombeaux beaucoup plus anciens (Âge du bronze tardif) dont la culture minoenne nous donne les premiers exemples.

Les grands temples, quant à eux, vont suivre un plan visuellement très caractéristique, tôt érigé en tradition perçue comme classique, et qui se retrouve dans toutes les cités grecques depuis l’Asie mineure jusqu’à la Grande Grèce. Il sera bientôt adopté chez les étrusques puis diffusé plus tard dans tout l’Empire romain. 

L’élévation nous est familière — elle sera même reprise par les architectes néoclassiques à partir du XVIIIe siècle : la krepis (la base) et ses marches ; les colonnades (selon l’ordre dorique, ionique ou corinthien) et leurs chapiteaux ; l’entablement décoré, soutenu par l’épistyle et achevé par la corniche sous la toiture ; un fronton triangulaire surmonte les deux extrémités de l’édifice, fronton dont le tympan est délimité par des corniches, et lui-même en général orné d’un bas-relief majestueux… C’est sur la partie supérieure de l’entablement que se déploie la frise avec ses bas-reliefs caractéristiques (la frise classique — dite dorique — offre une succession de panneaux ornés, les métopes, délimités par les triglyphes). Par ailleurs, nous savons que ces monuments étaient recouverts d’enduits de divers couleurs.

Au sol, il comporte deux parties principales : d’une part le sekos central, fermé, protégé de parois aveugles ; de l’autre, entourant le sekos, le péristyle ouvert mais délimité vers l’extérieur par des colonnades. Il permet au peuple de venir accomplir une déambulation rituelle autour du naos.

Dans les temples grecs classiques, le sekos abrite une immense chambre centrale (jusqu’à un tiers du sol de l’édifice), elle-même rectangulaire, le naos proprement dit donc (qui correspond à la cella romaine et au Garba-griha — chambre-ventre — hindouiste). Il s’agit du sanctuaire proprement dit. Seuls les membres du collège sacerdotal sont autorisés à y pénétrer. C’est en son cœur que siège la (ou les) statue de la divinité (ou des divinités), ainsi que les dons destinés à l’honorer. Face à elle, se trouve le grand portail dont les battants s’ouvrent pour dévoiler au peuple la statue de la déesse ou du dieu lors du jour de la fête. On remarquera que les temples étaient normalement orientés pour permettre aux rayons du soleil de venir éclairer directement la statue au matin de la célébration.

©Mel22 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Temple Forêt Halatte

©Mel22 , CC BY-SA 3.0, wikimedia

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©Par_MarcJP46_—_Travail_personnel,_CC_BY

 Temple Janus

©Par_MarcJP46, CC_BY-SA_3.0 ,wikimedia

 

Au fond du naos, ou emboité au naos au fond de celui-ci, voire à la manière d’une crypte ou d’un podium, et derrière la statue, se cache en général l’adyton : c’est la partie la plus sacrée du temple, là où se déroulent les rites plus importants. Ainsi la pythie, avant de rendre ses oracles, se recueille-t-elle dans l’adyton du temple d’Apollon à Delphes, pour inhaler les vapeurs de la faille volcanique sacrée, sous la protection de la pierre sacrée, l’Omphalos, représentant le centre du cosmos.  

Dans le prolongement du volume du naos et de son axe, ce même naos est complété par l’opisthodome (où le trésor du temple est déposé) derrière le sanctuaire, et par le pronaos (le vestibule) devant le sanctuaire. C’est ainsi que se déploient les temples classiques les plus grands, dits périptères (entièrement entourés de colonnades), ou même les simples temples amphiprostyles (avec colonnades en façade et au chevet).

Dans les temples plus modestes, dépourvus de colonnades arrière ou latérales (prostyles ou tétrastyles), la statue divine est simplement adossée au mur du fond du naos. 

Sur le parvis du temple, de sorte que la foule puisse s’y presser, est installé l’autel. Lorsque ce sont des divinités chtoniennes à qui l’on offre un sacrifice, il s’agit d’une fosse ronde, le bothros, dans laquelle le sang des bêtes offertes s’écoulera dans la terre. Quant aux divinités ouraniennes, les sacrifices leur sont adressés sur une petite table quadrangulaire, le bomos.

En Grèce on essaie d’ériger les temples un peu à l’écart de la cité, dans un lieu isolé et plus élevé, qui permet de conférer à l’édifice une réelle visibilité monumentale. À Rome, en revanche, on tendra à laisser les temples s’intégrer à la cité ce qui ne donne de visibilité qu’à la façade. 

Toujours à Rome, on était en outre particulièrement attentif à sacraliser les temples par une cérémonie complexe : le vœu d’érection du temple, le choix de sa localisation future, l’inauguration (au sens propre) et sa délimitation précises en tant que lieu sacré (fanum) accomplies par l’augure chargé de s’assurer d’auspices joviniens favorables ; après l’édification, un pontife consacre le fanum avec son templum (le téménos grec), avant qu’un magistrat n’accomplisse sa dédicace. 

À cet égard, contrairement à la Grèce qui désigne l’édifice sacré par le nom de naos, c’est-à-dire par celui de la cambre sacrée (la « cella » en latin), Rome emploie par antonomase le mot « templum » pour désigner l’édifice sacré, alors que ce mot au sens strict désigne seulement l’espace que l’augure a délimité comme fanum.

Fanums celtiques

Au nord-ouest de l’Empire, à cause de l’influence hellénistique qu’apporte avec eux les romains, les celtes vont eux aussi adopter pour leurs propres cultes des sanctuaires dotés d’un édifice. Ces fanums celtiques sont des édifices très simples cependant : un petit bâtiment de bois à plan central, carré ou circulaire, entouré d’un périmètre sacré. Ils devaient abriter quelque représentation plus ou moins anthropomorphe (sous l’influence hellénistique) d’une divinité, mais aussi accueillir diverses offrandes rituelles. Les temples les plus tardifs étaient parfois entourés d’un déambulatoire en forme de galerie ouverte, abritant les processions, et ils pouvaient même être faits de pierres. 

Le fanum des Châteliers près d’Amboise (Ier siècle) nous offre un exemple d’un de ces temples gallo-romains bâtis en pierre de taille. De même, l’abbaye romane normande de Saint-Georges-de-Boscherville a été établie sur un ancien fanum de pierre avec galerie du deuxième siècle, qui lui-même remplaçait une succession d’édifices cultuels gallo-romains de bois (dont le premier ne comportait pas de déambulatoire).

En Europe, cependant, en particulier dans les campagnes, le fond animiste s’est bien maintenu à côté des cultes polythéistes liés à l’idéologie des conquérants indoeuropéens. Quant à l’Empire romain, il n’abolira pas les anciens cultes des territoires conquis, mais les assimilera plus ou moins en jouant sur l’équivalence entre les dieux d’un peuple à l’autre, tout en cherchant à imposer des codes qu’il estime moins « superstitieux » (plus civilisés dirions-nous).

©Par Joël Thibault — Travail personnel,

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©Par Joël Thibault — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, wikimedia-

Quant au christianisme impérial, il les recouvrira totalement mais sans complètement les détruire. C’est ce fond archaïque qui nous donne les témoignages les plus persistants des structures cultuelles de l’Europe. La force des traditions carnavalesques, notamment dans les régions montagneuses, en témoigne. À Rome même, la tradition carnavalesque des Saturnales avant le solstice d’hiver, ou encore celle des Lupercales qui célèbre le dieu Faune à la mi-février, manifestent la popularité d’un culte dérivé d’un rite de fécondité sylvestre lié à la saison froide. 

On peut aussi la constater jusqu’au sein des monuments édifiés par les chrétiens eux-mêmes. Les églises sont souvent édifiées sur des sites du culte animiste ou polythéiste, honorent des saints héritiers des figures ancestrales sylvestres, et continuent, dans leur décor, à accueillir des symboles et des personnages liés à la vision du monde qui prévalait depuis la préhistoire. En Europe occidentale, le style architectural roman renoue d’ailleurs avec une symbolique maternelle et chtonienne avec laquelle rompait l’esthétique ouranienne des basiliques chrétiennes qui vont surgir partout dans l’Empire par la grâce de Constantin.

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