3.3.2 CATALOGNE ET LOMBARDIE
L’Occident latin va connaître autour de l’An mil une évolution architecturale inédite qui va marginaliser provisoirement le modèle de l’antique basilique romaine, au profit d’un édifice plus trapu, entièrement de pierres, dont le modèle a pris naissance également dans l’Antiquité mais en Syrie. Cet style, qu’il est convenu d’appeler depuis le XIXe siècle « art roman », évocateur d’une symbolique chtonienne contrairement à la basilique latine antique, va dominer pour une bref moment l’Europe presque sans partage.

Saint-Climent - Sescebes - Espagne

Tandis qu’au nord du royaume de France et dans l’Empire la nef charpentée caractéristique des antiques basiliques se maintient, en Lombardie, en Catalogne et en Aragon, à la fin du Xe siècle, un style plus symétrique et massif s’impose, caractérisée par une nef entièrement voûtée en berceau de plein-cintre.
3.3.2 De nouvelles solutions architecturales
De même que dans l’Orient byzantin à la même époqueavec les églises triconques en croix-grecques à branches courtes de style athonite, nul style ecclésiastique au paravant n’a paru autantlié à l’institution monastique. Il ne fait pratiquement qu’un en particulier avec l’expansion, le prestige et larichesse prodigieuse de l’ordre de Cluny et des autres ordres bénédictins. De ce fait, l’art roman apparaitera rétrospectivement lié à la féodalité et aux seigneuries rurales.
Dans leur sillage, l’art roman primitif gagnera bientôtle sud de la France et la Bourgogne, puis toute l’Europe. L’abbatiale va devenir pour un temps le modèle de l’architecture eccléiastique même séculière, et marquer sa structure même après que les moines cénobites perdront de leur prestige au profit des clercs et religieux urbains.
Ce bouleversement est lié à l’abandon progressif de la nef charpentée au profit d’une nef couverte d’une voûte en arc semi-circulaire, à l’origine en berceau plein-cintre.
Cette solution architecturale, en se généralisant, va donner une physionomie massive aux églises de la chrétienté latine de ce temps. Nolens volens, on retrouve le symbolisme chtonien de certains temples païens, en particulier ceux liés aux cultes de la déesse mère, que parfois accentue la présence de crypte dédiée à quelques reliques, creusée sous le chevet. Que ce soit grâce à l’architecture, à la situation de certaines églises sises sur d’anciens temples, à l’imagerie des bas-reliefs, ou encore à l’essort du culte des statues des vierges noires et de divers saints thaumaturges, on a jamais été si près de concilier l’ensemble de l’héritage culturel de l’Occident.
Obligé de compenser la poussée latérale exercée par la voûte, l’art roman ne peut construire une nef trop haute ni trop ajourée. Il est nécessaire de construire des murs épais et plutôt bas, en général soutenus à l’extérieur dans leur effort de contrebutée par de puissants contreforts.
Les changements liturgiquesde l’époque carolingienne vont entraîner avec le temps des modifications caractéristiques de la période suivante. La multiplication des messes privées, et donc des autels, tout comme le succès du culte des reliques qui ne se démentit pas, entraînent un certain nombre d’innovations architecturales propres à l’Occident qui reflètent l’évolution modifications que subit alors la liturgie.
La généralisation des messes privées votives célébrées à telle ou telle intention par les désormais très nombreux moines prêtres ou par le clergé séculier pléthorique constitue un mutation majeure aux conséquences multiples, notamment la multiplication des absidioles.


Abbatiale Paray-Le-Monial, France
3.3.3 L'âge d'Or roman
L’art roman atteint sa maturité à la fin du XIe siècle en France méridionale : on songe par exemple à Saint-Sernin de Toulouse ou à Sainte-Foye de Conque, et leur audacieuse tour-lanterne (ajourée) octogonale s’élevant à la croisée du transept, en s’appuyant sur une coupole sur pendentifs – une solution adoptée par de nombreux édifices méridionnaux.
Mais les monuments plus représentatifs de cette apogées se situent peut-être surtout en Bourgogne, après l’érection de l’abbatiale de Cluny III (1088-1130), le plus grand édifice chrétien jamais construit avant la Renaissance ; l’abbatiale de Paray-le-Monial en étant une sorte de miniature. L’abbatiale de Vézelay illustre également ce rayonnement de l’architecture monastique clunysienne.
A la fin de la période romane, la voûte des bas-côtés, et même celle de la nef, voient la généralisation d’innovations techniques, telle la voute d’arête (comme au-dessus des bas côtés de Cluny III et de Paray-le- Monial) et la voûte en arc brisé (comme dans la nef de l’abbaye cistercienne de Fontenay). A la fin du XIIe siècle, la nef de la cathédrale de Durham adopte la voûte d’arête soutune par des nervures croisées qui annonce la période suivante, dite aujourd’hui « gothique » [c’est à dire l’époque de l’avènement au XIIe en Ile-de-France de ce que l’on appelait alors l’opus francorum, ou francigenum, dont le style va dominer l’Europe – à l’exception notable de l’Italie – jusqu’au XVIe, avant que ne lui succède le règne du style baroque].

Abbatiale Paray-Le-Monial, France

Durham, Cathédrale Saint-Cuthbert. Angleterre
Ses grandes murailles compactes permettent à l’art roman de continuer d’accueillir des fresques majestueuses, telles celles qui ornent encore Saint-Savin-sur-Gartempe. Comme dans l’Antiquité, l’église est normalement dominée par l’image du Christ Pantocrator qui trône dans l’abside dans sa mandorle.
Mais le même Christ dans sa mandorle, en bas relief cette fois, orne aussi l’imposant tympan, soutenu par un linteau et son trumeau central. Le tympan constitue comme le développement roman du fronton triangulaire antique, dont il s’affranchit pour aller épouser la voussure du berceau plein-cintre.
Du reste, de même que le tympan est son trumeau, le chapiteaux des divers piliers offre aux sculpteurs la possibillité de mettre en œuvre leur art du bas- et moyen-relief.
L’image demeure plus illustrative, décorative et pédagogique qu’en Orient. En Occident, les icônes n’ayant d’autre fonction que d’être vénérée pour ce qu’elle représente ne sont pas nombreuses. La période romane voit plutôt l’émergence d’image en trois dimensions sous la forme de statues, à l’exemple des vierges de majesté ou des crucifix, voire de saints, et, ce, souvent en relation avec le culte des reliques. L’iconographie des églises romanes conserve aussi nombre de thèmes typologiques vétérotestamentaires tombés en désuétude (voire en disgrâce) en Orient. On continuera volontiers, tout au long du Moyen Age, de représenter le Christ sous les traits d’un agneau.
Ce goût du symbolisme ira jusquà permettre le développement d’une iconographie (en particulier les bas-reliefs des chapiteaux) qui tend à l’ésotérisme tant elle demande de connaissances pour être décryptée, en général sur plusieurs niveaux symboliques. On remarquera également, à cet égard, que l’iconographie des églises fait désormais souvent une large place à l’imaginaire animiste local, peuplé d’êtres issus des légendes sylvestres occidentales.
Cette floraison architecturale reflète de manière générale l’essort économique de l’Occident et plus spécifiquement sa richesse artistique qui ne cesse alors, par conséquent, de croître. C’est également vrai dans le domaine musical. Le chant d’église est depuis l’époque carolingienne le théâtre d’une créativité sans cesse renouvellée qui cultive un art vocal ornementé à l’extrême, notamment au cours de la messe. Le choix d’une nef entièrement voûtée, avec sa sonorité propre, n’est pas étranger à cette créativité. On peut s’en rendre aisément compte dans les abbatiales cisterciennes qui permettent à une seule voix d’emplir la nef sans effort comme si le chantre formait tout un chœur. On remarquera aussi l’usage fréquent de vases acoustiques,insérés dans les voûtes, les murs ou parfois le sol d’églises de cette époque, afin d’atténuer certaines résonnances altérant la musicalité du chant.